Trop souvent, même parmi les spécialistes, on lit que la PME, cette multinationale atrophiée, restée au stade larvaire, se caractérise par un rapport à l’environnement de l’ordre de la réponse, au mieux, de l’adaptation. La seule ambition pour une PME serait donc de parvenir à se montrer réactive, à être en quelque sorte dans une soumission positive aux aléas, dans une peur maîtrisée de l’avenir. La multinationale, elle, la vraie, a d’autres choix, une autre ambition, celle de lutter contre la peur par le monopole ou, à défaut, par une participation active à une oligarchie de marché en forme de guerre froide. C’est une logique de châteaux forts, de sièges et de croisades, dans laquelle la multinationale draine la richesse de pays entiers avant de porter ailleurs son regard et son appétit, dans une relation verticale aux personnes et aux territoires.
Déployer une vision stratégique
J’aime croire que l’on peut changer de regard sur la PME et déployer une vision stratégique qui soit l’expression d’une confiance fondée sur ses atouts : la peur a assez fait de dégâts, on peut sortir du moyen âge économique. Je propose d’envisager l’avenir non pas comme la poursuite d’une lutte entre royaumes combattants, mais comme la construction d’une collaboration où chacun participe au bien être commun. Sur le plan économique, cela engage d’autres visions, d’autres choix où la PME exprime son identité et sa grandeur : sa taille facilité la connaissance des personnes et la circulation interne de l’information, donc l’émergence d’un collectif mobilisé autour d’une mission commune ; la relation étroite avec les membres de son écosystème permet le partage d’informations et la conscience d’une interdépendance, autorisant l’avènement de valeurs intégratives dépassant et consolidant le sort de chacun ; enfin l’ancrage territorial est pour l’entreprise à la fois une assurance de pérennité et un encouragement vers la réalisation de sa mission, un facteur de dépassement.
Choisir sa mission
Il y a ainsi, bien sûr, des spécificités dans la réflexion stratégique des PME, mais pas celles que l’on cite habituellement, pas celles qui reposent sur les prétendus handicaps et malformations de ces entreprises : : importance de la personnalité du dirigeant, relations affectives, décisions intuitives plutôt que raisonnées, manque de moyens… Mais des spécificités qui s’appuient sur leur rôle privilégié dans le paysage économique et leur potentiel presque infini de transformation de la société : choix d’une stratégie de participation à la vie socio-culturelle du territoire, choix de jouer un rôle moteur dans l’intégration des membres de son écosystème, choix de promouvoir une logique de regroupement au sein de collectifs métiers permettant entraide et représentativité, stratégie d’ancrage favorisant la promotion et le développement des compétences de leur territoire, l’exploitation raisonnée des matières premières, la préservation et la mise en valeur de son patrimoine…
Ces entreprises peuvent choisir d’assumer des missions souvent dévolues aux associations, mais que celles-ci ont de plus en plus de difficulté à assumer faute de subventions et d’un modèle économique pensé hors assistanat : création de lien social, soutien et promotion des arts et de la diversité culturelle, éducation et promotion d’un autre regard sur l’environnement, expérimentation concrète d’un développement pérenne fondé sur une exploitation raisonnée des ressources et une rentabilité assurant l’autonomie.
Changer de regard sur la PME
J’invite ainsi à un changement de paradigme concernant la réflexion stratégique des PME : non plus regarder les limites d’une situation qui serait celle d’une multinationale sous-développée et fragile, mais les potentiels d’un acteur économique majeur inséré organiquement dans le tissu sociétal ; non plus subir un statut de petite et moyenne entreprise comme une tare, un handicap, mais choisir de le vivre comme une force et une potentialité de bien-être et de progrès d’un territoire et de toute la société dont elle fait partie.